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Le drôle de monde
16 février 2021

Quand la France dispose d'un certain privilège

Les États-Unis ont longtemps été accusés d'utiliser le rôle international du dollar pour exercer un «privilège exorbitant». Le terme, utilisé pour la première fois par le ministre français des Finances Valéry Giscard d’Estaing, fait référence à la capacité des États-Unis à financer leurs déficits courants et à acquérir des avoirs extérieurs en émettant des dollars comme monnaie de réserve. Si des taux de change flexibles ont réduit le besoin de monnaies de réserve, l'utilisation du dollar dans le commerce et les finances internationales garantit qu'il existe un besoin continu d'actifs libellés en dollars. Le statut du dollar contribue à l'excédent des revenus des investissements internationaux des États-Unis malgré sa position extérieure nette négative (NIIP). Mais la France a aussi un excédent de revenus d'investissements internationaux et un NIIP négatif. Possède-t-il son propre privilège?

L'excédent américain reflète la composition de son bilan extérieur ainsi que le rendement de ses actifs et passifs. Les États-Unis ont un solde positif sur les capitaux propres et en particulier, les IDE, compensés par le solde négatif des titres en portefeuille, tels que les obligations. Les bons du Trésor américain sont «l'actif sûr» universel, détenu par les investisseurs privés étrangers ainsi que par les banques centrales. Le rendement des capitaux propres dépasse celui payé sur les dettes, ce qui donne un solde positif des revenus de placements. C’est le retour que reçoivent les États-Unis pour jouer le rôle de «capital-risqueur mondial», selon Pierre-Olivier Gourinchas de l’UC-Berkeley et Hélène Rey de la London Business School. En outre, les États-Unis reçoivent un rendement plus élevé sur leurs actifs d'IDE que sur leurs engagements d'IDE.

 La France a également un NIIP négatif mais un solde positif des revenus nets des investissements internationaux. En 2018, par exemple, elle a reçu 35,6 milliards de dollars de revenus de placements. Par ailleurs, la Banque de France a souligné dans le rapport annuel 2015 sur la balance des paiements et la position extérieure globale de la France que si le ratio des investissements directs sortants encours / passif était de 2 pour 1, le ratio recettes d'IDE sur paiements était de 3 pour 1. L'excédent français, comme celui des États-Unis, peut donc être attribué à la fois à un effet de «composition» reflétant la différence des types d'actifs et passif qu'elle possède, mais aussi un effet «rendement» du fait du rendement relativement plus élevé de ses actifs d'investissement direct par rapport à ses passifs.

 Vincent Vicard du CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales) a examiné cette déclaration dans un document de travail du CEPII, «The Exorbitant Privilege of High Tax Countries». Il constate que les entreprises françaises obtiennent des rendements plus élevés sur leurs opérations à l'étranger dans les pays à faible taux d'imposition et les paradis fiscaux, preuve de l'utilisation de la déclaration des bénéfices pour augmenter les rendements. Les transferts de bénéfices des multinationales françaises représentent 2 points de pourcentage de la différence de rendement des actifs et passifs français. Quatre pays européens représentent une grande partie de cette activité: le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suisse et Le Royaume-Uni.

 Ces résultats sont cohérents avec ceux rapportés pour d'autres pays, en particulier le Kim Clausing of Reed College aux États-Unis, par exemple, a examiné l'impact des écarts de taux d'imposition sur les bénéfices des filiales américaines dans «Multinational Firm Tax Evasion and Tax Policy» dans le National Tax Journal en 2009. Plus récemment, Thomas Tørsløv et Ludvig Wier, tous deux de l'Université de Copehhagen, et Gabriel Zucman de l'UC-Berkeley ont enquêté sur le transfert de bénéfices des multinationales dans divers pays dans un document de travail du NBER, «The Missing Profits des nations. » Ils estiment que près de 40% des bénéfices des multinationales sont transférés chaque année dans des paradis fiscaux dans le monde. Les pays non refuges de l'Union européenne semblent être les principaux perdants de cette manœuvre.

 Mais il serait trop simple de rejeter les bénéfices étrangers des entreprises françaises ou américaines comme un artefact purement comptable. Les multinationales ont utilisé les technologies de l'information et des communications pour créer des chaînes d'approvisionnement mondiales qui leur permettre de s'approvisionner dans des pays à faible coût et d'assembler les composants ailleurs avant leur expédition vers le marché final. La France a sa part de multinationales, y compris des firmes comme BNP Paribus, Carrefour et Peugeot. De plus, l'expansion économique étrangère des entreprises et des investisseurs français est antérieure aux codes fiscaux modernes. Thomas Piketty de la School for Advanced Studies in the Social Sciences et de la Paris School of Economics a souligné dans Capital in the Twenty-First Century que les revenus tirés des participations étrangères étaient suffisants pour financer les déficits commerciaux et les sorties de capitaux en Grande-Bretagne et en France pendant la fin du XIXe et le début du XXe siècles.

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